Verlaine par Dornac

lundi

Alfred JARRY

PARIS COLONIE NÈGRE
  
M. Girard, commissaire de police de Belleville, recherche activement, dit-on, un nègre qui, après avoir absorbé diverses consommations dans un bar de la rue Palikao, se serait enfui sans payer, et en renversant, d’un coup de tête dans le ventre, le garçon de l’établissement. Que nos fonctionnaires prennent garde de traiter comme un vulgaire filou ce Noir, en qui nous n’hésitons pas à reconnaître et à saluer un explorateur, que tous ses actes dénotent émule admirable, encore qu’un peu trop servilement fidèle, des Stanley, des Béhagle, des Marchand !
Il dégustait, dans l’intérêt de la science africaine, les produits de notre sol ; et qu’a-t-il fait, par son coup de tête dans le ventre du garçon, que s’exercer à courtoisement reproduire ce qu’il devait, non sans motif, conjecturer être le salam du pays, le renfoncement solide et cordial tel qu’il se pratique à l’encontre du nombril des nègres statufiés en carton, munis d’un dynamomètre, dans les promenoirs des music-halls ? Nul doute que, si on ne l’eût interrompu, il n’eût pas tarder à planter quelques drapeaux, brûler des monuments choisis et emmener plusieurs personnes en esclavage. Si le commissaire de Belleville persiste dans son erreur, nous nous ébahirons moins de celle des dignitaires du Haut-Niger qui s’obstinent , eux, de même façon, à ne voir dans les distingués chefs de nos missions que des filous ordinaires.

Alfred Jarry, in La Chandelle Verte, Le Castor Astral, 2006