Verlaine par Dornac

dimanche

Erik SATIE

PÉNIBLES EXEMPLES


Le cabaret, dont la mauvaise réputation n’est plus à faire, a joué – et joue encore – un rôle assez important dans la vie Littéraire et Artistique. Hélas ! nous voyons, à l’heure actuelle, nombre d’intellectuels qui ne craignent pas de se montrer au café – tout au moins – et de s’y installer bien en vue (à la terrasse même), oubliant ainsi toute la circonspection qu’un homme convenable se doit à lui-même – et qu’il doit un peu aux autres. N’est-ce pas une offense faite à la Morale que ces tristes exhibitions apéritives ? que ces bacchanales publiques ? que ces horreurs intempérantes ?

Evidement, il m’arrive d’aller à la Brasserie ; toutefois, je me cache – non par une blâmable hypocrisie, mais conseillé par une prudente réserve – et surtout, pour que l’on ne me voie pas. J’aurais honte d’être vu ! car, comme me le disait Alphonse Allais : - « ça peut vous faire rater un mariage ».
Dans le temps, j’ai été aussi un peu au « Chat Noir » - ainsi que Maurice Donnay du reste – mais en cachette, bien entendu, et je ne m’y rendais qu’entre mes repas – repas que je prenais dans une autre taverne, toute proche.
En somme, je ne suis pas un homme de Café : je préfère la Brasserie. Oui.
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Il m’est impossible de vous citer ici tous ceux que je connais et qui vont au café – vous vous en doutez. Je ne crois pas que d’aller au café, ou à tout autre endroit de ce genre, soit mauvais en soi ; j’avoue y avoir beaucoup travaillé : et je crois que les illustres personnages qui y furent avant moi n’y ont pas perdu leur temps. Il s’y fait un échange d’idées qui ne peut qu’être profitable – à la condition de ne pas se faire remarquer.
Cependant, pour faire montre de morale et pour me donner un air respectable, je dis : Jeune gens, n’allez pas au café : écoutez la voix grave d’un homme qui y a beaucoup trop été, à son avis - mais qui ne le regrette pas, le monstre!

Erik SATIE, ÉCRITS, réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1977